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par François-Félix Roy
Depuis la pandémie, les initiatives numériques se multiplient dans tous les domaines, bénéficiant autant de nombreuses subventions encourageant la production de contenu numérique que de divers changements à nos habitudes de vie. Le patrimoine vivant s’inscrit dans cette tendance et a depuis quelques années accéléré sa prise en main des nombreuses possibilités qu’offre Internet.
Voici un tour d’horizon, non exhaustif, d’initiatives numériques récentes qui mettent en valeur les traditions québécoises dans une multitude de nouvelles formules créatives.
Transmettre la tradition en ligne
Le numérique, malgré ses limites, offre des possibilités d’enseignement uniques, notamment par l’intermédiaire de capsules vidéo. Et si l’investissement initial nécessaire à la production de contenu vidéo de qualité est important, le résultat a comme net avantage d’être pérenne et facile d’accès.
Un des plus ambitieux projets d’enseignement vidéo ayant émergé dans les dernières années est la plateforme Gigues-tu. Développée par le Club Gigus, elle propose un parcours d’apprentissage de la gigue à travers près de 150 capsules préenregistrées. Cette plateforme payante, entièrement conçue au Québec, offre du contenu pédagogique autant pour gigueurs néophytes qu’experts. Elle s’inscrit dans la volonté plus large du Club Gigus de rendre disponible la gigue partout sur le territoire québécois, en plus de servir de ressource d’enseignement pour les professeurs de troupes de danse folklorique. Et avec des plans, entre autres, de doublage en anglais, Gigues-tu n’est pas au bout de ses ambitions.
Du côté des autres arts traditionnels, c’est surtout en musique qu’on retrouve des initiatives similaires. Le Festitrad de Saint-Gabriel, un des membres du réseau 25 Festivals Trad, offre depuis quelques années l’École de musique du Festitrad, un plateforme de cours préenregistrés qui propose une initiation au style trad au violon, à la mandoline, à la guitare et à la podorythmie. Une initiative qui prend toute sa pertinence si l’on considère que le jeu de violon québécois est déjà enseigné en anglais sur des plateformes internationales, telles que le site américain Fiddle Video ou la plateforme scandinave The Folk Music Academy. Le Conseil québécois du patrimoine vivant offre quant à lui la plateforme Trad-666, un cours en ligne gratuit conçu pour initier les élèves du secondaire et du collégial à la musique trad dans une formule ludique et interactive. Dans la même veine, le groupe Bon Débarras anime la série J’m’en viens chez vous! diffusée sur la plateforme Ondapart. Destinée notamment à l’usage des enseignants du primaire, elle s’accompagne d’un cahier pédagogique et d’un cahier de l’élève.
Du côté des arts textiles, les modèles d’affaires proposant du contenu gratuit dominent dans les nouvelles propositions. Le tricot est la technique vedette, notamment sur YouTube, où plusieurs chaînes à caractère pédagogique présentent un nombre élevé d’abonnés. Mentionnons, parmi les initiatives des dernières années, les chaînes La Maison Tricotée, Pure Laine etc. ou encore Le gars qui tricote. Quant aux autres techniques d’artisanat, le Centre de Valorisation du Patrimoine Vivant diffuse sur YouTube la série Tutos Trad, où on apprend entre autres le crochet et la vannerie. Cet organisme propose également une série de vidéos où le travail de l’artisane ou de l’artisan est présenté sans commentaire ni musique. Une sorte d’ASMR du patrimoine vivant, où le geste est mis en valeur dans toute sa poésie.
De nombreuses autres initiatives mériteraient d’être décrites en long et en large. Citons la chaîne YouTube du Réseau Québec Folklore, qui offre près d’une centaine de capsules d’apprentissage de répertoire animées par différents musiciens du milieu. Le violoneux Pascal Gemme, connu comme membre du trio Genticorum, est également derrière Trad Québec Studio, une plateforme offrant des ressources d’apprentissage pour plus de 200 airs traditionnels. Le Wiki-Club du Conseil québécois du patrimoine vivant vise quant à lui à stimuler la contribution volontaire à l’encyclopédie collaborative Wikipédia sur les thèmes liés au patrimoine immatériel via des rencontres d’accompagnement mensuelles.
La vidéo comme médium artistique
Au-delà de ses possibilités didactiques, la vidéo représente aussi un outil de diffusion d’œuvres qui gagne en popularité dans le milieu trad, au point où de nombreux organismes conçoivent du contenu spécifiquement pour diffusion numérique. C’est le cas de la BIGICO, avec sa plateforme Bigico.tv dédiée à la gigue québécoise. Le « Netflix de la gigue » présente une multitude de contenus, de la série de création Gigue virtuose aux épisodes du talk-show sur la gigue Moment de qualité. Entre captations de productions destinées à la scène et contenu conçu pour le format vidéo, Bigico.tv contient une proposition artistique qui présente la gigue sous de multiples facettes. En musique, soulignons la série YouTube Sur le bout du banc, créée par Claude Méthé et Dana Whittle : de facture simple et authentique, cette série prolifique présente plus d’une centaine d’épisodes mettant en valeur des airs traditionnels du Québec.
Non content d’investir YouTube et de développer ses propres plateformes de diffusion, le trad se fait même viral sur TikTok grâce à l’école de danse trad Les Mutins de Longueuil, dont certains clips ont été visionnés plus de sept millions de fois. Ces courtes vidéos proposent en général des aperçus de diverses danses traditionnelles du monde, en réservant une place de choix aux danses québécoises. D’abord utilisées pour motiver la troupe de danseurs alors que la pandémie battait son plein et que l’enseignement de la danse devait se faire à distance, les vidéos TikTok des Mutins ont eu des répercussions inattendues. D’abord, une visibilité internationale considérable : sur les 120 000 abonnés que la chaîne cumule, seulement 15 % sont situés au Canada. Répercussions locales aussi, puisque leur présence web a notamment amené les journalistes du Devoir à leur consacrer un vidéo-reportage. Leur contenu TikTok a également apporté son lot d’inscriptions et de contrats pour l’école de danse, qui a maintenant un comité spécialement dédié à la création de contenu sur la plateforme.
Balados trad
S’il est un art traditionnel qui met la parole en valeur, c’est bien le conte. C’est donc sans surprise que le balado est le médium prisé des conteurs et que les productions mettant en valeur le conte se font de plus en plus nombreuses. Mentionnons à titre d’exemple Vide ton sac : tête à tête autour du conte, produit par la Maison des arts de la parole, qui réunit deux conteurs autour d’objets représentant, pour eux, l’art du conte. La série est également diffusée sous format vidéo. Pour le conte contemporain, La Quadrature propose depuis 2019 Contes indociles, un balado de « contes sonores ». Le Centre de Valorisation du Patrimoine Vivant a quant à lui dédié la troisième saison de son balado Porter la tradition à une rencontre entre conteurs québécois et bretons sur les enjeux entourant l’art du conte. Les deux premières saisons étaient respectivement dédiées à l’artisanat et à la musique traditionnelle.
Les artisans québécois sont, de leur côté, mis de l’avant dans le balado Tout un bagage, initiative du Conseil des Métiers d’Arts du Québec, qui fait l’exercice de les pairer avec un artiste d’une pratique différente. On peut ainsi assister à la rencontre originale entre l’ébéniste Jessica Beauchemin et le rappeur Samian, ou encore le luthier Thierry André et l’auteur-compositeur Louis-Jean Cormier.
C’est d’ailleurs un balado qui s’est mérité le Prix Mnémo 2022, récompensant une production « remarquable dans le domaine de la recherche ou de la documentation » en patrimoine vivant. Il s’agit de Les dessous de Mme B. ou Les 78 tours de Madame Bolduc, conçu et présenté par Lina Remon. L’émission, diffusée originellement à la radio, est maintenant disponible avec support visuel sur YouTube. Parmi les autres exemples notables, citons le balado Culture Trad Québec du Conseil québécois du patrimoine vivant, qui met en valeur en cinq épisodes des porteurs de différents arts traditionnels, dont des ambassadeurs culturels du programme national des Maîtres de traditions vivantes, ou encore Pas perdus : carnets de création, compléments audio à la pièce de théâtre d’Anaïs Barbeau-Lavalette et Émile Proulx-Cloutier portant sur la gigue.
Réinventer la veillée
Parmi les projets les plus inusités se trouvent ceux qui revisitent la veillée de danse avec les possibilités du numérique. Le projet Isidore Remix (2021), créé par Robin Servant et Guillaume Coulombe en hommage au violoneux Isidore Soucy, consistait en une veillée de danse traditionnelle se déroulant simultanément à Alma et à Rimouski. Les artistes et danseurs des deux salles, réunis par écrans interposés, ont parvenu malgré la distance à ne créer qu’une seule veillée grâce à une multitude d’interactions ingénieuses. Et pour organiser sa propre veillée, le Conseil Québécois du Patrimoine Vivant a créé en 2022 Organise le meilleur party!, un karaoké de danse trad qui fournit directives et musique à quiconque souhaite s’improviser câlleur lors d’un évènement privé.
En bref
Sans délaisser le contact humain qui est à l’essence de leur pratique, les arts traditionnels tirent de plus en plus profit des possibilités du numérique à des fins de transmission et de diffusion. Si chaque discipline y trouve son compte, soulignons que danse trad, particulièrement touchée par la pandémie de Coronavirus, a fait preuve d’inventivité et en ressort plus outillée que jamais. Et dans l’ensemble, il va sans dire que le patrimoine vivant a de belles années à venir en personne autant que sur nos écrans.
À propos de l’auteur
François-Félix Roy est musicien traditionnel à la guitare et chansonnier. Au printemps 2023, il lance son premier album solo Peines perdues. Il collabore au Wiki-Club en patrimoine vivant depuis 2021.
L’auteur remercie Claire Dumoulin, agente de développement culturel numérique du CQPV, pour la transcription de sa conférence lors du Rassemblement patrimoine vivant 2023.